Lettre de Maryse Condé

Je tiens à remercier l’équipe du Comité Mam’ Ega, La Collective, Mamanthé et la Cie le Rêve de la Soie et en particulier la plasticienne Françoise Sémiramoth pour ce qui a été fait autour de mon roman intitulé Chiens fous dans la brousse.

J’ai écrit ce roman alors que j’étais Présidente du Comité pour la Mémoire de l’Esclavage afin de répondre à ses objectifs : faire connaître le plus largement possible les cruautés et les épreuves de l’esclavage. Il m’a semblé que le public jeune ne devait pas être oublié, mais au contraire, plus que tous les autres devait être sensibilisé à un passé qu’il connaissait mal et dont il subissait encore parfois les conséquences. Dans mon esprit, le livre que je composai et qui fut publié par les éditions Bayard Jeunesse devait être lu et expliqué à des enfants et éventuellement aboutir à une saynète qui illustrerait les idées fondamentales de l’ouvrage.

Le Comité Mam’Ega, la Collective, Mamanthé et la Cie le Rêve de la Soie ont enrichi cette vision peut‐être un peu étroite. Au cours des trois années qui viennent de s’écouler, à la suite d’un travail ininterrompu et souvent ingrat, non seulement le livre a été lu et expliqué à des enfants particulièrement défavorisés, en général d’origine comorienne et vivant dans la violence et la pauvreté des quartiers Nord de Marseille, mais il a libéré de façon inattendue leur créativité intérieure. Les enfants se sont appropriés le texte, à partir de lui ont conçu des dessins et des illustrations, ont réalisé une vidéo et ont même composé un accompagnement sonore fait de musique et de sons qu’ils ont eux‐même choisis.

Je dois avouer que d’abord mes réactions ne furent pas entièrement positives. Comme tout auteur je m’attends à une fidélité respectueuse de ce que j’écris. Ensuite elles allèrent de cette surprise à une appréciation profonde. Curieusement, si mon texte m’échappait en partie, il trouvait une nouvelle forme de vie riche et entière que je n’avais pas envisagé.

Ces enfants qui n’avaient aucune notion de l’esclavage s’appropriaient le passé et le faisaient revivre à leur gré. Je suis donc tout particulièrement heureuse que leur travail ait été reconnu par l’UNESCO, intégré dans les réalisations de Marseille, capitale européenne culturelle 2013, et trouve à présent son ensemencement en terre de Guadeloupe. J’espère qu’il s’agit là d’un nouveau départ vers d’autres horizons.

Avec reconnaissance,

Maryse Condé
Ecrivain
1er Novembre 2013