Chiens fous dans la brousse

Mali, XVIIIe siècle. Au bord du fleuve Niger, les jumeaux Naba et Malobali, partis avec leur père à la chasse au lion, sont enlevés par des voleurs d’enfants. Vendus comme esclaves, l’un aux arabes, l’autre à un médecin français, les deux garçons sont séparés. Leurs destinées, tragiques, prendront deux chemins opposés.

« J’ai écrit “Chiens Fous dans la Brousse” en ma qualité de Présidente du Comité pour la Mémoire, poste qui m’avait d’abord été confié par M. Christian Paul et ensuite confirmé par Mme Brigitte Girardin, tous deux alors secrétaires d’état à l’outremer. En effet un des buts principaux du comité était de faire entrer l’esclavage dans la mémoire collective des Français. Il ne fallait plus que ce soit seulement une affaire d’initiés, historiens, chercheurs, thésards, mais que cela devienne l’affaire de toute la société française. Il fallait que chacun réalise l’importance de l’esclavage et connaisse les mécanismes de son fonctionnement. J’ai décidé d’écrire un livre à l’attention du jeune public trop souvent oublié. Il est très difficile d’écrire un livre pour la jeunesse. C’est une constante gageure. Les jeunes, surtout les pré-adolescents (entre 10 et 14 ans), s’ennuient vite. Ils détestent le didactisme et la pédagogie quand elle est trop appuyée. Il faut allier le sérieux et le divertissant.

Dans ce cas les problèmes étaient encore plus graves. Comment parler à des jeunes de ce qui fut le summum de l’injustice, de la barbarie, commis au nom des principes de la civilisation. J’ai donc choisi de raconter cette histoire terrible et douloureuse sur un mode qui serait accessible à des jeunes : celui du conte.
“Chiens fous dans la brousse” se compose de deux histoires, l’une qui tourne autour d’enfants originaires de l’actuel Mali, l’autre qui tourne autour d’un enfant de l’actuel Nigeria pour bien montrer le caractère global de l’esclavage qui a affecté toute l’Afrique. Les enfants originaires du Mali sont deux jumeaux, Naba et Malobali. Ce texte est basé sur une légère distorsion de la vérité. Naba et Malobali sont capturés parce qu’ils ont désobéi a leurs parents et sont sortis la nuit pour écouter un célèbre griot. Considérer l’esclavage comme le résultat d’une désobéissance, c’est-à-dire une faute personnelle des enfants est certes inexact mais rend l’ensemble de l’histoire plus crédible pour de jeunes esprits. Ce texte est très dur car il implique la mort de Naba emmené en esclavage par des Arabes, mais je tenais à souligner que l’esclavage ne fut pas seulement un crime commis par les Européens (voir l’historien Pétré-Grenouillot). Malobali, lui, est emmené a Gorée et cette fois encore pour adoucir le récit il est placé chez un bon maître qui rêve de lui apprendre à lire et a écrire. Mais les conditions du système sont telles qu’il partira quand même pour le Brésil et deviendra une marchandise.
Le deuxième texte, celui qui concerne la fillette, Ayodele, est plus visiblement inspiré d’un conte occidental. Ayodele est une petite princesse puisqu’elle est la fille d’un Oba (roi). C’était une manière de rappeler qu’avant leur condition servile les Africains pouvaient appartenir à des familles princières et riches. Les malheurs d’Ayodele s’inscrivent dans les traditions du conte à épreuve. Ses ravisseurs sont à la fois féroces et humoristiques. Elle aussi est à la fois attachante, espiègle et victime innocente.
Marier ces deux textes de tonalité différente a été assez délicat et le résultat composite fait la caractéristique de “Chiens fous dans la brousse”.
En avril 2008 je me suis rendue en Charente Maritime et j’ai pu vérifier l’effet que ce texte produisait sur les enfants de mareyeurs, absolument ignoreux des réalités de l’esclavage. Ils étaient intéressés par les jeunes héros. Ils s’identifiaient a eux et sympathisaient avec leur condition. J’ai compris que j’avais atteint mon but, rappeler à tous que l’esclavage fut un crime contre l’humanité. »

Maryse Condé
Ecrivaine